mercredi 14 juillet 2010

Épopée pour Vaïe : Le deuil I

Les trois oracles lui avaient commandé de marcher cent ans, passées les montagnes qui touchent au ciel, traversées les sylves blanches couvertes des neiges ancestrales, pour se rendre au lieu de la bataille. Et elle avait refusé avec la ferveur palpable de tout son courage, laissant même des sourires se glisser dans ses discours de déni incongrus. Elle allait prendre un autre chemin, évitant avec le plus grand soin violent les conseils du triolet de sages.

Elle dû donc partir, avec deux lettres et deux chiffres comme seuls compagnons, et croisa des minotaures grandioses qui l'insultaient ouvertement d'avoir lâché sa destiné si facilement. Des milliards de cartouches s'envolèrent alors du canon magistral, pour protéger la fragile des attaques brûlantes des bœufs. La vieille arme raboutée aux mains de la jolie explosait toutes les sentinelles avec autant de hargne que de peur, affolée comme la jeune fille d'avoir tant à faire. Les bêtes cornues tombèrent puissamment sur le sol, écrasées de tout leur poids et des munitions qui s'étaient creusées des chemins sous les forêts ardente de leur toison, et sous leur peau, et dans leur chair.

Puis, reculée derrières les immenses fares, l'Annie s'était exilée en larmes, et la vapeur couvrait son visage comme des voiles au vent sur les mers salées d'Hudson. Ses uniques pensées allaient à sa terre natale, dont elle avait un vague souvenir, sachant tristement qu'elle ne la reverrait jamais.

Elle avait brûlé déjà ses pieds sur le roc labyrinthique, et elle devait maintenant les frigorifier dans la vase, caressée de l'huile émanant des marais qui l'accoudaient, de part et d'autre du chemin boueux qui s'étendait à l'infini devant ses yeux fatigués. Elle tremblait de froid, humide jusqu'aux os et ceignant son automate kalashnikien, le seul frère qui ne l'avait pas laissée pour morte, après son départ.
Et malgré elle, voulant se sauver des oppressions obligatoires de sa société, elle avançait vers les monts perdus, des lieues devant ses pas aléatoires, se compliquant sans cesse la route par des détours ni récompensés, ni punis.

Avec les mêmes crainte que celle des moissons perdues, des siècles précédant les fertilisants, elle continuait son voyage, baignée doucement des rares rayons astraux qui perçaient les épais nuages, et qui se reflétaient sur les gouttelettes guerrières et risquées au dessus des étendus bouillants. Et, comme contraste direct à la chaleur effroyable de l'eau dans l'air, le sol gelé collait sous les plantes téméraires d'Annie, et leur faisait couler doucement des pluies fragiles d'hémoglobine.

Cent lunes passèrent, plus grises les unes que les autres, et leur lumière diffuse sur le passage épique lui donnait l'air d'un cimetière Mistral qui débouchait sur lesdites montagnes. Et enfin, la petite exaltait ses regards nouveaux sur les chemins rigoureux, emplis de neige et crevassés d'immense puits d'où l'on entendaient encore les milliers de pendus, réclamant leur deuxième chance. Ses membres meurtris par la longue marche se plaignaient déjà des aléas fécondés d'une nappe blanche, qui frissonnait de vagues incessantes de rafales meurtrières.

Elle s'élança dans la plus grande hâte, gâtant toujours ses joues de pleurs pour y repêcher des chaleurs subtiles et vitales, traversant les vals et les pics rocheux, les jambes bleues de froid et mordantes dans les flocons cristallins. Son fusil n'y était plus d'aucune aide, mais elle le gardait étreint contre sa poitrine, comme une cicatrice triste de ses combats inutiles et épuisants. Elle s'en voulait, se posant les questions infâmes de l'utilité de soi, et de ses pas. Criait, sanglotait, geignait, marchait.

Le fond glaçant sous son corps épuisé s'effondrait, et elle tombait et se fracassait chastement le visage sur une paroi rocheuse, restée vive et tempérée. Annie s'accrochait, s'épatant de ses prouesses autant de de ne pas se laisser tomber, le vide le plus complet sous elle, les pendus l'appelant. Le froid cruel s'élançait sur son épiderme congelé et l'abandon semblait la seule ouverture. Elle remontait pourtant, jurant de ne jamais s'effondrer plus bas. Après des prouesses divines pour grimper la parroi escarpée et coupante, elle retrouva le difficile chemin, et la neige redoubla d'ardeur, à tomber comme toutes les chutes de la terre sur le visage engeolé d'Annie, comme pour l'achever. Elle n'avait plus ni force, ni envie, depuis trop longtemps enjôlée par la promesse d'une guérison, et par son absence, et par le parcours trop long et épuisant comme des douzaines d'accouchement.

Alors que tout semblait perdu, elle aboutit sur un belvédère d'où on voyait, plus loin, que le soleil tombait amoureusement sur une vallée riche en toits chaleureux et en arbres fruitiers, dont les enfants ne se gênaient pas pour les dévorer tout entier, laissant le jus rigoler sur leurs joues heureuses. Son AK-47 ne lui servirait plus, elle trouva une résidence à elle, loin de son ancienne patrie ensevelie sous les kilomètre de combats qu'elle avait dû faire, et s'y fit une tisane simple, s'émerveillant étrangement des monts venteux qui battaient le paysage de leur blancheur dangereuse, au loin.

Elle eut un petit sourire de compassion, voyant un jeune homme qui, comme elle, partait avec une arme nouvelle, pour affronter l'immense espace périlleux. Elle le conseilla, de passer par les monts tranquilles et les boisés reposants, sachant pourtant qu'il allait en faire fi.

La brume qui fusait de sa tasse lui rappelait les bourbiers qui avaient parsemés son voyage, elle versait une dernière larme, enfin.

- PV

2 commentaires:

  1. Accompagnée d'un verre de merlot, je crois que c'est un de tes meilleurs....

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  2. C'est peut-être la fatigue. Ou tout simplement le fait que je me suis plongé uniquement dans le sujet de mon épopée. Or, j'ai l'étrange impression de comprendre.

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